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La mort de l’écrivain royaliste Ghislain de Diesbach

Essayiste et biographe prolifique dont le ton et l’esthétique relèvent d’un monde et de modèles évanouis, Ghislain de Diesbach de Belleroche est mort à Viry-Châtillon (Essonne) le 14 décembre à l’âge de 92 ans.
Né le 6 août 1931 au sein d’une famille aux racines et aux valeurs profondément ancrées dans le monde de l’Ancien Régime – la noblesse en est attestée dans le Saint Empire dès le XVe siècle –, l’enfant est selon la volonté de son père élevé « dans la haine de la République ». Ainsi il proclame son attachement à la royauté par son refus de chanter La Marseillaise quand la IIIe République s’apprête à sombrer.
Observateur précoce d’un monde qui se défait, il se découvre un regard aigu de mémorialiste dès l’exode de 1940, pointant le tragique et le grotesque d’un monde adulte contemporain qui lui est déjà étranger. D’où son manque d’investissement, son seul horizon étant les souvenirs pittoresques de personnages oubliés ou excentriques, les œuvres d’art reconnues et les créatures de papier – Jules Verne et la comtesse de Ségur l’influenceront durablement. Mais s’il a pu, au fil de ses volumes de souvenirs, témoigner de son art opiniâtre de cultiver l’oisiveté, ce n’est pas du goût de son père qui lui coupe les vivres, passés ses 25 ans.
Le dilettante, qui a décroché de justesse le baccalauréat et soldé son parcours universitaire par une licence en droit, se trouve contraint de trouver un emploi, dans le domaine des assurances où il croque, tout juste stagiaire, le paternalisme et l’alcoolisme qui le régissent. Le week-end, Diesbach écrit. Des nouvelles (Iphigénie en Thuringe, Julliard, 1960), dans un style suranné qu’il assume crânement ce qui lui vaut, outre le titre de « jeune maître de l’insolite », sa place dans les dîners mondains. Jusqu’à en faire son second métier.
Il sillonne aussi la France en moto, à la rencontre de grands écrivains – s’il critique la tenue et l’accent de Jean Giono, il transfigure Marguerite Yourcenar en « quelque reine gaillarde de la Renaissance ». René Julliard le protège, accueillant ses romans comme ses essais, et peu à peu se dessinent deux lignes chez l’écrivain : la défense du savoir-vivre ancien voué à une obsolescence inéluctable, qui le campe en moraliste au franc-parler parfois féroce – Petit dictionnaire des idées mal reçues (Via Romana, 2007), Nouveau savoir-vivre, éloge de la bonne éducation (Perrin, 2014) –, et la posture du biographe.
Tenu pour un historien depuis son Histoire de l’émigration 1789-1814 (Grasset) dont le propos croise tant de ses valeurs, Ghislain de Diesbach multiplie les portraits de célébrités – Necker (Perrin, 1978), Madame de Staël (Perrin, 1983), Proust (1991), Chateaubriand (Perrin, 1995) –, plébiscités par le grand public. Le magistère scientifique l’épingle pour une rigueur jugée insuffisante mais la passe d’armes stimule celui qui se voit comme un « duelliste ».
Plus que la sûreté de l’archive, c’est l’art de la justesse de ses portraits qu’on retiendra. Comme ce panthéon intime que dessinent les figures de Ferdinand Bac (Perrin, 1979), La Princesse Bibesco (Perrin, 1986), Ferdinand de Lesseps (Perrin, 1998), L’abbé Mugnier, le confesseur du Tout-Paris (Perrin, 2003) jusqu’à l’explorateur Richard Burton (PUF, 2009). L’intelligence sensible d’un continent dont il était moins le témoin que l’héritier a condamné cet aristocrate en deuil d’une légitimité éteinte à prolonger les combats réactionnaires de sa jeunesse en affichant ses positions proserbes et hostiles à l’OTAN en 1999 et en assumant jusqu’en 2011 la vice-présidence de l’Association des amis de Rivarol, le plus ancien hebdomadaire de l’extrême droite française.
6 août 1931 Naissance au Havre (Seine-Inférieure)
1975 « Histoire de l’émigration 1789-1814 » (Grasset)
1991 « Proust » (Perrin)
2009 « Gare Saint-Charles : souvenirs 1949-1957 » (Via Romana)
14 décembre 2023 Mort à Viry-Châtillon (Essonne)
Philippe-Jean Catinchi
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